EXTRAITS DU LIVRE
Pourquoi si je pense que l'autre est un cretin, il a plus de chance de le devenir
Self fulfilling prophecy ou l'effet pygmalion
«
L'amour peut tout…Pygmalion en est la preuve mythologique. Certaines
versions du mythe le présentent comme roi de Chypre, sculpteur,
célibataire endurci qui entreprend de sculpter dans le plus bel ivoire
une statue de la femme parfaite. Réussite totale puisqu'il tombe
amoureux de sa création qu'il prénomme Galatée et qu'il va traiter
comme une femme en chair et en os. Ne pouvant néanmoins demander la vie
pour sa statue, il supplie Aphrodite, déesse de l'amour, de lui donner
une femme à l'image de sa création. Aphrodite accède à sa demande et
transforme la statue en femme. Une des leçons du mythe est que c'est en
agissant avec cette statue comme avec une femme, que la statue devient
femme. C'est le regard de l'amour qui a fait d'une statue, une femme
désirable. « L'effet Pygmalion » par extension renvoie à
l'importance du regard que je porte sur l'autre qui est de nature à
transformer cet autre. A l'extrême : « je (te) pense donc tu
es ». [….]
Un regard, c'est (presque) tout
Dans leur livre, Pygmalion à l'école
(1968), les psychologues américains Robert Rosenthal et Lenore Jacobson
revisitent le mythe en posant la question : lorsque des
enseignants croient leurs élèves plus intelligents qu'ils ne le sont,
ce regard qu'ils leur portent peut-il produire sur eux un effet
Pygmalion, c'est à dire les rendre plus intelligents ? Cette
expérience est devenue une des études fondamentales en psychologie
sociale. Au printemps 1964, Rosenthal et Jacobson soumettent les élèves
de l'école primaire d'Oak School à des tests d'intelligence. Ils disent
aux enseignants de cette école que certains de leurs élèves ont eu des
scores si élevés qu'ils sont assurés de bien se développer scolairement
pour l'année à venir et leur donnent la liste de ces élèves. Dans les
faits, les psychologues ont choisi ces élèves « doués » de
façon aléatoire et la seule chose qui les différencie de leurs pairs
est dans la représentation et le regard des enseignants. Après avoir
donc créé chez les enseignants certaines attentes de réussite pour ces
élèves, Rosenthal et Jacobson attendent un an et font repasser les
tests d'intelligence. La « prophétie » est effectivement
réalisée puisque les élèves identifiés comme doués enregistrent une
progression dans leur score de QI significativement plus forte que les
autres étudiants. Que s'est–il passé ? Les étudiants doués ont-ils
été privilégiés au détriment des autres ? Pas vraiment, les enseignants
ont en effet dit qu'ils avaient passé en fait un peu moins de temps
avec les élèves dits doués qu'avec les autres. Des travaux
complémentaires de Rosenthal ont montré que ces élèves supposés à plus
fort potentiel étaient néanmoins traités différemment de plusieurs
façons (de façon souvent involontaire et sans que les enseignants
s'en rendent compte): les enseignants avaient tendance à les entourer
d'un climat émotionnel plus chaleureux avec plus d'encouragements et de
patience ; ils leur assignaient plus de matériel à
apprendre ; ils leur donnaient plus de feedback et de meilleure
qualité qu'aux autres élèves ; enfin les enseignants leur
donnaient plus d'opportunités de répondre en classe et plus de temps
pour répondre. En traitant les élèves dits doués de la sorte, cela
développait leur confiance en eux et leur motivation à apprendre
davantage.
Le regard que nous posons
sur les autres et les attentes que nous en avons sont nécessairement et
éminemment subjectives. Ils dépendent d'un certain nombre de schémas de
pensées que nous sont propres et auxquels nous tenons, lesquels, tels
des filtres, nous font sélectionner et interpréter de l'information. Ce
traitement de l'information, se fait souvent selon une boucle fermée,
auto-validante qui renforce encore nos schémas. Ainsi un stéréotype sur
une personne m'empêche de considérer cette personne dans son unicité.
Elle fait partie d'une catégorie avec laquelle elle partage de façon
indiscriminée toutes les caractéristiques supposées. Dès lors, pourquoi
approfondir la connaissance de cette personne puisque je sais déjà tout
d'elle ? Je n'en apprendrai donc pas plus et certainement pas sur
ce qui fait d'elle quelqu'un d'unique, de différent et qui risquerait
de remettre en cause mes croyances. De façon générale pourtant, ce
phénomène de la prophétie auto-réalisatrice est le plus souvent
involontaire. Il se situe au niveau des attentes que j'ai sur une
personne ou une situation qui va conditionner mon regard et mes
attitudes sur la chose et ce que la chose va devenir à mes yeux. Une
circularité vertigineuse…
La prophétie auto-réalisatrice au travail
Le
domaine managérial est bien sur un terrain privilégié de pratique de la
prophétie auto-réalisatrice puisqu'il est un domaine d'échange, de
confrontation, de développement, de sélection. Avant l'entrée en
relation avec une nouvelle personne, beaucoup s'est déjà joué au niveau
des attentes. Imaginez que vous allez rencontrer votre nouveau collègue
dont on dit qu'il est timide mais sympathique et votre nouveau chef
dont on dit qu'il parle peu, a la réputation d'être quelqu'un
d'exigeant, qui ne plaisante pas toujours. Votre attente d'une
rencontre agréable dans le premier cas peut en effet la rendre
agréable : vous vous détendez, vous mettez l'autre à l'aise, vous
interprétez ses silences comme de la timidité et de l'écoute, vous vous
confirmez le fait qu'il est bien sympathique. L'autre rencontre que
vous attendez plus périlleuse risque effectivement de l'être :
vous vous mettez sur la défensive, avez peur de dire une bêtise et donc
n'exprimez pas vos idées, interprétez les paroles du nouveau chef comme
des jugements et ses silences comme un manque de chaleur, bref, vous le
trouvez effectivement moins sympathique. Si l'on n'y prend pas garde,
les dés sont joués avant même d'avoir engagé la partie
relationnelle….. »
Extrait de Psychologie du manager, P. Amar, Dunod, p. 87
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